🇵🇹 Budget : comment le Portugal s'est tiré d'affaires ?

🔍 Budget 2026 sans le 49.3, comment ça marche ?

Filite
5 min ⋅ 10/11/2025

Salut les lecteurs,

Deux articles un peu plus longs que prévus, c’est pourquoi on fait sauté le point bourse.

Au programme aujourd’hui :

  • 🇵🇹 Budget : comment le Portugal s'est tiré d'affaires ?

  • 🔍 Budget 2026 sans le 49.3, comment ça marche ?


🇵🇹 Budget : comment le Portugal s'est tiré d'affaires ?

📌 Contexte

2010, le Portugal vit ses heures les plus sombres depuis l'adhésion à l'euro. La dette publique atteint 111% du PIB. Les marchés financiers perdent confiance : les taux d'intérêt sur la dette portugaise s'envolent, dépassant les 7%, un seuil considéré comme insoutenable. Le pays ne peut plus se financer sur les marchés.

Le problème est structurel. Depuis son entrée dans la zone euro en 1999, le Portugal a profité de taux d'intérêt historiquement bas pour s'endetter massivement. Les dépenses publiques ont explosé sans que la croissance économique ne suive. Entre 2000 et 2010, la productivité stagne, la compétitivité s'effondre, et le pays accumule les déficits jumeaux (public et commercial).

La crise financière de 2008 achève de révéler la fragilité du modèle : croissance inexistante (0,2% en moyenne sur la décennie), chômage en hausse, etc.

En mars 2011, la proposition du premier ministre d’austérité est rejetée par la 4e fois par le Parlement, il démissionne. Le coût de la dette à 10 ans grimpe à +7%. En avril 2011, le gouvernement portugais n'a plus le choix : il demande l'aide de la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI) pour éviter un défaut de paiement. Un plan de sauvetage de 78 milliards d'euros est accordé en échange d'un programme d'ajustement drastique.

☝️ Faits

Pour le plan, 2 volets :

1- Austérité budgétaire immédiate

Les mesures sont brutales. Hausse de la TVA de 21% à 23%, augmentation des impôts sur le revenu, réduction de 5% des salaires des fonctionnaires, le gel des pensions et la suppression ou le plafonnement des prestations sociales. Ils suppriment les 13e et 14e mois pour les fonctionnaires (deux mois de salaire supplémentaires traditionnels au Portugal - si un lecteur Filite a plus d'infos sur leur origine, je suis preneur !)

L'objectif : baisse le déficit de 7,3% du PIB en 2011 à 4,6% à la fin de l’année. Mission accomplie en 2014 avec un déficit à 2,9%.

2- Réformes structurelles

Au-delà de l'austérité, le Portugal entreprend une refonte en profondeur de son économie :

  • Marché du travail : assouplissement des règles de licenciement, réduction des indemnités de licenciement de 30 jours à 20 jours de salaire par année d'ancienneté, autorisation des accords d'entreprise dérogatoires aux conventions collectives pour faciliter les baisses de salaires en cas de difficulté.

  • Système de retraites : recul de l'âge légal de 65 à 66 ans (puis indexé sur l'espérance de vie), allongement de 40 à 42 années de cotisation pour une retraite complète, introduction d'un "facteur de soutenabilité" qui réduit automatiquement les pensions si les comptes se dégradent. Résultat : une baisse moyenne des pensions de 20%.

  • Fonction publique : réduction des effectifs de 10% (soit 50 000 emplois) via non-remplacement des départs et départs anticipés, fermeture de 1 500 services administratifs locaux, fusion de 1 200 communes en 308 nouvelles entités pour réduire les doublons.

  • Entreprises publiques : privatisation partielle de TAP (compagnie aérienne), EDP (électricité), CTT (poste) générant plus de 7 milliards €.

🎯 Impacts

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La dette publique recule de 130,6% du PIB en 2014 à 99,1% en 2023. Le déficit public devient excédentaire : +1,2% en 2022. Le chômage s'effondre de 17,5% en 2013 à 6,5% en 2023. La croissance revient : +2,8% en moyenne entre 2016 et 2019.

Le Portugal sort du programme d'aide en mai 2014, deux ans avant la Grèce. En 2023, l'agence Moody's relève la note du pays à A3, un niveau pré-crise. Les investisseurs étrangers reviennent, attirés par un climat d'affaires amélioré et des coûts salariaux compétitifs.

Le tourisme explose et devient un pilier de l'économie : 27 millions de visiteurs en 2019 contre 16 millions en 2014. Le secteur technologique décolle, notamment à Lisbonne qui attire startups et talents internationaux.

Le redressement est spectaculaire sur le papier mais le tableau n'est pas idyllique. Le PIB par habitant reste à 77% de la moyenne européenne. Les salaires demeurent parmi les plus bas de la zone euro : salaire médian de 1 200€ contre 2 200€ en France. La pauvreté touche encore 17% de la population. L'émigration massive a saigné le pays : 500 000 Portugais, principalement jeunes et qualifiés, sont partis entre 2011 et 2015. Beaucoup ne sont pas revenus.

🇫🇷 Comparaison avec la France

France et Portugal partagent certains défis : dette publique élevée (113% du PIB pour la France en 2024), déficit structurel, dépenses publiques importantes, marché du travail rigide, système de retraites généreux, fonction publique nombreuse.

Les deux pays sont dans la zone euro, donc soumis aux mêmes contraintes monétaires et budgétaires. Les deux sont sous pression de Bruxelles pour réduire leurs déficits.

Les dépenses publiques françaises (57% du PIB) sont 10 points au-dessus du Portugal (47%). Réduire cet écart impliquerait des coupes d’environ 300 milliards d'euros.

Les retraites représentent 14% du PIB en France contre 12% au Portugal. Le salaire médian français (1 940€) est 60% plus élevé qu'au Portugal, limitant l'effet "compétitivité-coût".

La France a des atouts que n'avait pas le Portugal en 2011 : des champions industriels mondiaux, un secteur technologique dynamique, des infrastructures de premier rang, une démographie plus favorable.

Le Portugal démontre qu'un ajustement budgétaire rapide est possible sans sortir de l'euro ni provoquer l'effondrement social. Le Portugal a été forcé d'agir par les marchés. La France a encore des marges, mais elles se réduisent. Les réformes structurelles portugaises – retraites, fonction publique, marché du travail – ont produit des effets durables au-delà de l'austérité ponctuelle : sans réforme de fond, l'ajustement comptable ne suffit pas.

Le Portugal a été forcé d'agir par les marchés en 2011. La France, avec une dette à 113%, est déjà sous pression. La seule question : agir maintenant de manière ordonnée, ou attendre d'être acculé comme Lisbonne ?

J’enchaîne sur la partie de cette Newsletter qui mêle astuce et culture générale en investissement 👇


🔍 Budget 2026 sans le 49.3, comment ça marche ?

Le projet de loi de finances 2026 suit un parcours compliqué au Parlement. Sans le 49.3 - cet article qui permet au gouvernement de faire passer un texte sans vote -, le gouvernement doit négocier avec tout le monde pour faire passer son budget.

Mi-octobre : le gouvernement publie son projet de budget. L'Assemblée nationale examine d'abord les recettes fin octobre, puis vote début novembre. Pendant ce temps, le Sénat bosse sur les dépenses.

Les trois façons dont ça peut finir :

Scénario 1 : tout le monde d'accord
Si l'Assemblée et le Sénat votent exactement le même texte : le budget est adopté directement.

Scénario 2 : désaccord, mais compromis
Quand les deux chambres - l'Assemblée nationale et le Sénat - ne sont pas d'accord, on crée une commission mixte paritaire : 7 députés + 7 sénateurs qui tentent d’écrire une version commune. Si ça marche, les deux chambres votent sur ce texte de compromis. S'ils disent oui, c'est bon.

Scénario 3 : blocage
Si la commission mixte échoue, le texte fait des allers-retours entre les deux chambres. Soit ils finissent par tomber d'accord, soit ça reste bloqué jusqu'au 31 décembre.

Et si on arrive au 31 décembre sans budget : là, le gouvernement a deux plans B :

  • Utiliser l'article 45 de la Constitution pour faire voter par ordonnance (un décret du gouvernement qui a force de loi) juste la partie recettes, et reconduire le budget 2025 en attendant

  • Demander au Parlement de voter une loi spéciale qui reconduit le budget 2025 pour toute l'année 2026

Si même la loi spéciale est rejetée, l'État n'a plus de budget. Un peu comme les "shutdown" aux USA : impossible de payer les fonctionnaires, de financer les services publics. En France, cette situation n'est jamais arrivée sous la Ve République, ce serait une crise politique majeure.

La vraie difficulté : le puzzle politique

Le problème aujourd'hui, c'est qu'aucun parti n'a la majorité à l'Assemblée nationale. Voici la situation :

  • Le gouvernement Le Cornu 📊 ≈ 150 à 160 sièges, issu d’une coalition entre Les Républicains (LR) et une partie de la majorité présidentielle (ex-macronistes), gouverne sans majorité absolue.

  • Le Nouveau Front Populaire (gauche : LFI, PS, écologistes, communistes) 📊 ≈ 190 sièges cumulés, s'oppose fermement au budget, qu'il juge trop austère - trop de coupes dans les dépenses sociales

  • Le Rassemblement National 📊 ≈ 123 sièges , est en position d'arbitre : sans son abstention ou son soutien, le budget ne peut pas passer. Marine Le Pen a d'ailleurs posé ses lignes rouges - ses conditions non négociables

  • Les macronistes sont divisés entre ceux qui soutiennent Barnier et ceux qui veulent garder leurs distances 📊 ≈ 40 à 50 sièges

Résultat : chaque camp pousse ses priorités. Pour que le budget passe, il faut qu'au moins deux de ces blocs trouvent un terrain d'entente. C'est pour ça que ça coince : chacun a des lignes rouges incompatibles avec celles des autres.

Aujourd’hui, on est début novembre. L'Assemblée a voté la partie recettes le 4 novembre, le Sénat examine sa partie dépenses en ce moment. On a encore deux mois devant nous avant la date butoir - la date limite - du 31 décembre.

Autrement dit : on a le temps. Chaque rebondissement, chaque amendement rejeté ou adopté fait partie du processus normal. Le texte va évoluer, être modifié, amendé dans tous les sens.

Arrêtons de paniquer à chaque vote.

Ce qui est nouveau, c'est que chaque étape compte vraiment. Avant, avec le 49.3, on savait que le gouvernement pouvait imposer sa version.

Résultat : le texte qui sortira fin décembre n'aura probablement rien à voir avec celui d'octobre. C'est normal dans une situation où personne n'a la majorité.

La vraie date à surveiller, c'est mi-décembre. Si à ce moment-là les positions sont encore totalement inconciliables, là oui, on pourra commencer à s'inquiéter. Mais d'ici là, chaque groupe parlementaire va continuer à pousser ses priorités, à négocier, à faire des compromis. C'est long, c'est compliqué, mais c'est la réalité d'un Parlement sans majorité claire.

Très bonne semaine !

Filite

Filite

Par Jerome Vialla

Ex-sales trader US et Europe, j’ai lancé cette newsletter car :
1- J’en avais marre de devoir faire des recherches google pour comprendre le contexte d’un article
2- Ça faisait partie de mon métier d’écrire de la recherche pour des portfolios managers
3- J’aime beaucoup l’exercice de vulgarisation de mécanismes techniques